Journal "Réformés"
Articles publiés dans le magasine Réformés, pages enfants
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Réformés est un journal indépendant financé par les Eglises réformées suisses des cantons de Vaud, Neuchâtel, Genève, Berne et Jura. Soucieux des particularités régionales romandes, ce mensuel présente un regard protestant ouvert aux enjeux contemporains. Fidèle à l'Evangile, il s'adresse à la part spirituelle de tout être humain.
Depuis octobre 2021, je suis chargé de la page enfants : chaque mois, on retrouve dans le magasine une histoire originale à destination du public adolescent ou enfant.
La raison du plus fort - Avril 2025
Aujourd’hui, Mme Pétronille propose à ses élèves une nouvelle poésie, une fable plus précisément, celle du loup et de l’agneau, écrite par Jean de la Fontaine.
Les élèves l’écoutent attentivement, il y est question d’un loup qui mange un innocent agneau après l’avoir accusé de plusieurs choses.
Le loup sermonne d’abord le pauvre petit animal et lui dit qu’à cause de lui l’eau de la rivière est troublée et qu’il ne peut plus boire une eau claire. L’agneau se défend, prouve sa bonne foi en expliquant qu’il se désaltère très loin du loup, et qu’il ne le gêne pas.
Le loup l’accuse ensuite d’avoir dit du mal de lui l’année d’avant et d’avoir été irrespectueux, mais le petit agneau n’était même pas né à cette période.
Enfin il explique que de toute façon, les agneaux et les moutons, sans oublier les bergers et leurs chiens lui rendent la vie impossible.
Pur conclure la conversation, l’animal sauvage se jette sur l’agneau et l’emporte pour le dévorer dans la forêt.
Pierre l’un des élèves semble attristé et surtout ne comprend pas très bien pourquoi cette fable se finit aussi mal : « D’habitude les poésies sont plus joyeuses… ».
La maîtresse explique qu’une fable est un type bien précis de texte. A l’époque où elle a été écrite, il était compliqué de critiquer par exemple le roi ou les nobles ou leurs comportements inacceptables, et c’est pour cela que Jean de la Fontaine mettait en scène des animaux.
Après quelques instants, les élèves posent de nombreuses questions.
« Maitresse, pourquoi est-ce que la fable commence par la raison du plus fort est toujours la meilleure ?
- Le loup est le plus fort de l’histoire ? C’est bien cela ?
- Pourtant il accuse l’agneau à tort et finit par le manger. Pourquoi avoir trouvé autant d’excuses ?
- Il n’avait qu’à le manger immédiatement !
- Cela veut dire que si on est fort on a forcément raison et que l’on a tous les droits ? »
Mme Pétronille explique la morale de cette histoire contenue dans la phrase débutant la fable. L’auteur voulait expliquer que nombre de comportements inacceptables de son époque comme l’exploitation de la misère par les riches, les procès qui donnaient raisons aux nobles et aux puissants étaient nombreux.
Ce n’était pas toujours la justice qui l’emportait, mais plutôt le pouvoir et la richesse. À l’époque, l’auteur ne pouvait pas dire franchement que tous ces comportements l’horrifiaient et le mettaient en colère, ainsi il espérait instruire les hommes, les amener au changement en mettant en scène des animaux.
Malgré les explications de la maîtresse, certains élèves se posent encore beaucoup de questions.
« Est-ce encore comme ça de nos jours ? S’inquiète alors Paul.
- Pas trop en Suisse, mais dans d’autres pays, ça existe sûrement, ajoute Théodore, un autre élève.
- Effectivement, dans de nombreuses situations des gens puissants ou riches, des dirigeants de certains pays abusent de leur pouvoir et se comportent comme le loup de la fable… » Soupire Mme Pétronille.
Illustrateur :
Matthieu Paillard
Les règles du jeu - Mars 2025
C’est la rentrée des classes après les fêtes de Noël. Il a neigé la veille. Des élèves roulent des boules de neige pour réaliser des bonhommes. D’autres forment des boules plus petites pour une bataille de boules de neige.
C’est Mme Pétronille qui surveille la cour ce matin. Malgré le froid, elle aime ces moments passés dehors à regarder les élèves, surtout les plus petits, jouer dans la neige.
Tandis que beaucoup jouent gaiement, certains se sont regroupés en cercle sous le préau, serrés les uns contre les autres… Tout à coup, des cris puis une dispute éclatent dans ce groupe.
La maîtresse se dirige rapidement vers les élèves afin de se rendre compte de la situation et de calmer les tensions. A son arrivée, la dispute semble tout à coup s’arrêter. Et si certains élèves sont très énervés, d’autres sont redevenus étrangement calmes tout à coup, les mains dans les poches.
«Que se passe-t-il? demande alors Mme Pétronille.
– Rien, rien…
– Mais si, tu triches. Tu m’as pris mes cartes Monemon alors que ce n’est pas comme cela que l’on joue.
– Non, même pas vrai…
– Et moi, je te dis que ta carte n’était pas plus forte que la mienne. Tu n’aurais pas dû gagner le duel.
– Si, et en cas de duel perdu, tu dois donner ta carte.
– Mais moi, je ne joue pas pour de vrai… Quand on perd, on peut garder sa carte.»
Mme Pétronille comprend de quoi il s’agit. Elle insiste alors pour que chacun récupère ses cartes, puis explique aux élèves qu’il faudrait qu’ils se mettent d’accord sur les règles du jeu car il semble que chacun ait les siennes. La cloche sonne et la récréation se termine.
En rentrant en classe, les élèves sont encore en train de se chamailler à propos de leurs cartes.
Dans les vestiaires, l’un d’eux sort de son sac une grosse boîte en métal contenant un grand nombre de cartes et des élèves se précipitent vers ce collectionneur pour lui proposer des échanges.
«Ça suffit. On arrête avec ces cartes et on va prendre un moment pour fixer des règles entre vous et éviter ces disputes», propose alors la maîtresse.
Les élèves s’assoient à leur table et Mme Pétronille organise un débat où chacun pourra d’abord expliquer ce que sont ces cartes puis les règles des duels qui permettent ou non de remporter la carte de son adversaire.
Les élèves ne sont pas d’accord sur de nombreux points et ce nouveau jeu de cartes, arrivé dans la hotte du Père Noël durant les fêtes, risque de poser de nombreux soucis dans la cour de récréation.
Mme Pétronille propose aux élèves de créer des règles du jeu valables pour tous afin qu’il n’y ait pas de conflits permanents: «Jouer ensemble est un moment convivial. Si cela devient une situation de conflit permanent, ces cartes devront rester à la maison!» indique-t-elle. Et c’est ainsi que les cartes sont restées à la maison durant une semaine, le temps que les élèves rédigent ensemble des règles du jeu permettant à chacun de jouer sans risque de dispute ou de tricherie.
Illustrateur :
Matthieu Paillard
Une niche vide - Février 2025
Depuis quelque temps, les disputes entre élèves pendant la récréation semblent se multiplier et Mme Pétronille doit sans cesse intervenir ou régler des conflits au moment de rentrer en classe.
Ronan, un élève jusque-là sans histoire a changé de comportement : avec les autres les relations sont difficiles et ses résultats scolaires ne sont plus aussi bons qu’avant.
Mme Pétronille décide de rencontrer ses parents et leur parler de ses difficultés. Durant l’entretien les parents de Ronan ne comprennent pas vraiment ce brusque changement de comportement. Au bout de trente minutes, Mme Pétronille termine l’entretien, ne sachant pas vraiment quoi dire de plus…
Quelques jours plus tard, le doyen appelle la maîtresse pour lui indiquer que la famille de Ronan va déménager à l’étranger. Mme Pétronille comprend mieux la situation. Durant la récréation elle tente d’en parler avec Ronan qui se met à pleurer.
Mme Pétronille rencontre à nouveau les parents de Ronan. Elle leur indique qu’elle est au courant pour le déménagement et à ce moment-là, les parents parlent de leur projet de départ : la mère de Ronan est irlandaise, elle souhaiterait retourner dans son pays d’origine et quitter la Suisse. Le père de Ronan a trouvé un très bon emploi là-bas. Ronan sait qu’il va devoir déménager, et semble-t-il, n’est pas d’accord, depuis ses parents n’osent plus lui en parler. Mme Pétronille comprend pourquoi Ronan est si perturbé : il va changer de pays, d’école, de logement, il a peur de perdre ses copains, sans oublier son chien qu’il aime tant.
La maîtresse conseille aux parents d’associer leur fils aux préparatifs du déménagement, car le laisser dans l’incertitude ne ferait que le rendre plus inquiet. À neuf ans, Ronan a besoin de comprendre pour accepter ce départ.
Quelques jours plus tard, la maîtresse propose à chaque élève un exposé concernant sa famille, ses origines… Ronan se porte rapidement volontaire pour présenter le pays natal de sa maman.
Durant les relâches, les parents de Ronan l’ont emmené visiter la ville où ils déménageront. Ronan y a découvert des cousins du même âge que lui, avec qui il ira à l’école.
A la rentrée, Mme Pétronille propose une correspondance scolaire avec une école irlandaise. Le hasard fait bien les choses : elle a pu prendre contact avec une enseignante de français de la future école de Ronan.
Petit à petit, Ronan devient plus joyeux et le départ ne semble plus l’inquiéter autant. Les relations avec ses camarades s’apaisent.
Un matin du mois de juin, Ronan arrive en courant dans la classe de la maîtresse. Il lui montre des photos de sa future maison, de sa chambre déjà meublée et surtout, une photo d’une jolie niche au milieu de la pelouse de son futur jardin… Il va pouvoir emmener avec lui son chien. Il n’a plus peur de déménager. Il sait qu’il gardera ses liens avec la Suisse, sa famille, son école, ses camarades.
Illustrateur
Matthieu Paillard
"Toucher le pactole" - Décembre 2024/Janvier 2025
Il y a bien longtemps, vivait un roi puissant et riche. Il se nommait Midas.
Un soir d’orage, alors que le tonnerre grondait, un enfant vint frapper à la porte de son palais. Midas dînait avec de nombreux invités. L’un de ses serviteurs arriva dans la grande salle, accompagné d’un enfant grelottant de froid, vêtu de misérables vêtements. Midas se leva de table et l’accueillit alors chaleureusement. On lui offrit un manteau pour le réchauffer ainsi qu’une place à table.
Alors il se produisit une chose merveilleuse : l’enfant fut soudain entouré d’une lumière éblouissante, il se mit à grandir jusqu’à se changer en un homme de très grande taille, portant une tunique rouge, et couronné de lierre et de feuilles de vigne. Midas et ses invités reconnurent aussitôt le dieu Dionysos, fils de Zeus. Midas se prosterna devant lui.
« Merci à toi roi Midas, tu m’as ouvert les portes de ton palais et tu m’as invité à ta table. Dit alors Dionysos. Tu m’as accueilli bien que je sois arrivé faible et miséreux. Pour ta bonté et ta générosité, laisse-moi t’accorder un vœu. »
A ce moment, Midas ne sut pas quoi répondre et proposa au dieu de lui laisser trois jours pour réfléchir.
Il demanda conseil aux membres de sa familles, puis à ses ministres. Certains lui proposait de demander la vie éternelle, mais ce serait faire preuve d’orgueil que de demander d’être immortel comme les dieux. D’autres lui proposait de demander un royaume plus grand et plus puissant, mais cela impliquerait sans doute des guerres avec les peuples et les rois voisins. Au soir du deuxième jour, l’un de ses conseillers lui proposa une idée des plus originales.
Au matin du troisième jour, Dionysos reparut à la porte du palais, mais cette fois-ci conduisant un char tiré par des lions, et vêtu de magnifique vêtements. Le roi vint l’accueillir et se prosterna devant lui : « Puissant Dionysos, fais que je puisse changer en or tout ce que je touche !
Dionysos se mit à rire bruyamment : - Qu’il en soit ainsi roi Midas, quel curieux vœu tu me demandes de t’accorder ! ».
Le roi convoqua aussitôt ses forgerons et leur demanda de lui apporter autant de lingots de fer que possible. Lorsque la cour du palais fut remplie de piles de lingots, Midas, devant ses sujets ébahis, transforma tout cela en or resplendissant d’un simple toucher de la main. Sa richesse allait devenir légendaire.
Il transforma ensuite toutes les statues de pierre et les portes de fer de son palais en métal doré.
Mais la joie du roi Midas fut de courte durée, s’il pouvait changer en or des métaux, des statues, des pièces de monnaies, il se rendit compte que désormais même sa nourriture se changeait en métal doré dès qu’il la portait à ses lèvres. Il risquait donc de mourir de faim à cause de ce vœu.
Alors que tous se précipitait vers lui pour changer en or ses pièces, son arme ou même des vases, le roi hurlait de désespoir. Voyant la fin de ses jours venir si vite, il appela Dionysos qui lui apparut de nouveau.
« Au secours Dionysos, hurlait Midas les yeux remplis de larmes, retire-moi ce pouvoir qui au lieu de m’apporter le bonheur va me tuer.
- Roi Midas, ainsi te voila déjà lassé de ton nouveau pouvoir ? Soit qu’il disparaisse, mais pour cela tu devras te laver les mains dans les eaux du fleuve Pactole qui coule à quelques lieues de ta cité. »
Le roi s’empressa de se rendre au fleuve et trempa ses mains dans le courant. Alors les eaux se mirent à briller quelques instants, puis reprirent une couleur ordinaire.
Midas rentra chez lui, à la fois triste et rassuré. Triste pour avoir dû renoncer à son pouvoir miraculeux et à toutes les richesses qu’il n’aurait pas, mais rassuré de pouvoir vivre encore quelques années sans devoir mourir de faim.
Illustrateur
Matthieu Paillard
"Comme quoi..." - Novembre 2024
Par ce frais matin d’automne, Grincheux se rendait en ville, dans les bureaux de la «Seven Biquets' Corporation», afin de régler sa panne d’électricité, qui le rendait encore plus grognon que d’habitude.
Il avait traversé une grande partie de la forêt quand, soudain, il vit un carrosse à l’arrêt. Regardant de plus près, il remarqua que ce véhicule en forme de citrouille était celui de Cendrillon: la spécialiste de la mode en matière de chaussures. Elle semblait bien énervée. Son cocher tentait de la faire remonter dans le véhicule.
Remarquant Grincheux, Cendrillon l’appela à l’aide: «Bonjour Monsieur le Nain, pourriez-vous m’aider? J’ai cassé l’un de mes talons et je pense que j’ai une entorse de la cheville.» Grincheux grommela un peu, puis s’approcha pour l’aider à remonter dans son carrosse. Il récupéra quelques petites branches et lui fabriqua une attelle.
Le carrosse repartit bruyamment, Cendrillon fit un petit signe de remerciement, puis le Nain reprit sa route.
A la lisière de la forêt s’étendait un petit verger. Il y poussait de très beaux pommiers, mais les fruits étaient des plus étranges. Certains étaient verts ou bien rouges, tandis que d’autres étaient d’un noir brillant. A coup sûr, il s’agissait du verger de la vieille sorcière, celle qui avait donné une pomme empoisonnée à Blanche-Neige.
Dans le verger, il vit la sorcière toute voûtée, qui avait bien du mal à tendre le bras pour cueillir les plus belles pommes tout en tenant un panier déjà bien lourd.
«Eh, le Nain… Ne viendrais-tu pas m’aider à ramasser mes pommes? Je n’y arriverai pas toute seule…»
Grincheux hésita… C’était tout de même la vieille sorcière.
Il se rappela que la compote que la vieille préparait n’était pas si mauvaise et que s’il voulait continuer de la vendre sur son site internet, il pourrait bien lui donner un petit coup de main.
Grincheux récupéra une vieille échelle laissée dans le verger, la dressa contre un tronc et cueillit quelques kilos de belles pommes rouges pendant que la sorcière se reposait, assise à l’ombre des arbres.
A la fin de la récolte, Grincheux repartit avec de grands remerciements ainsi qu’avec une recette inédite de compote.
La ville n’était plus très loin, la matinée se terminait. Il ne restait à Grincheux qu’à prendre le petit pont de bois pour traverser la rivière. Il s’y engageait lorsqu’il entendit soudain des plaintes: «Oh, mais que vais-je devenir…? Comment rejoindre ma rivière…?»
Grincheux fit demi-tour, descendit le talus qui menait à la rivière, et découvrit celui que l’on appelait le Poisson magique: un poisson aux écailles multicolores et connu pour exaucer les vœux.
«Que t’arrive-t-il donc, grand poisson?» demanda le Nain.
Eh bien, je suis coincé dans les hautes herbes au bord de l’eau. Les fortes pluies ont fait sortir la rivière de son lit. Le niveau a baissé ce matin et je me retrouve ici dans la boue. Peux-tu m’aider à retourner dans l’eau?»
Grincheux prit alors le poisson dans ses bras, pataugea dans la rivière puis le remis dans le courant. Le poisson repartit gaiement tout en le remerciant chaleureusement et en lui offrant un vœu.
Le Nain arriva à la ville, un peu fatigué, les bottes boueuses. L’après-midi était là. Il ne s’était pas ennuyé. Il avait rencontré des gens: «Donner quelques coups de main n’était pas si désagréable après tout…»
Illustrateur :
Matthieu Paillard