De Kamijarvi à Bhagalpur
Série de dix poèmes (à l'origine), écrite en 1996.
Recueil qui me permit de remporter un concours de poésie. Presque 20 ans plus tard, je numérise enfin ces textes, corrigeant ici ou là quelques infimes détails.
Kamijarvi
KAMIJARVI
Le vent se lève, et les loups se font entendre ;
La tempête s’acharne sur cette steppe désolée
Qu’aucun soleil ne pourra réchauffer,
Tandis que le renne poursuivi par les hommes
Tente désespérément de fuir ; alors de son poids fait fendre
La glace du lac, qui chaque jour se reforme.
Dans ces étendues gelées
Le seul bien que l’hiver ne peut vous prendre
C’est uniquement la liberté ;
Mais sans vous battre vous ne pouvez la défendre.
C’est ainsi que l’on vit ici, accablés par le froid
Et par les mercenaires de sanguinaires rois.
Le jour de la défaite, leur secours sera le fjord ;
Car refusant de se soumettre, de s’agenouiller
Devant quelque prince d’Oslo ou de Novgorod
C’est dans ces précipices, pour la liberté, qu’ils iront se jeter.
La lande
LA LANDE
Les cheveux au vent, le cœur battant
Le long de la grève, le voilà chevauchant
Sur la lande déserte au milieu des ajoncs
Venue de nulle part s’élève une chanson.
Cet air, cette musique, cet éternel refrain
Depuis longtemps chantés par les Elfes et les Nains
C’est, pour la liberté, qu’elle est reprise par les Humains.
Ce cavalier errant, ce nomade mythique,
Semble être le seul à sauvegarder la flamme celtique
Plus bas près de la dune, voici la funeste crique
C’est là qu’ont abordé les premiers hérétiques
Bafouant les Dieux, transformant les druides en ridicules comiques.
Résistant aux persécutions, aux malheurs,
Protégeant l’étincelle de leurs valeurs,
Ils renferment dans les remparts de leur cœur
Le courage de résister aux Anglais, leurs envahisseurs.
Manzaranes
MANZARANES
Ophélie, prise de folie
S’élance alors, puis finalement se rendort.
Ne sachant plus que faire, se précipite au dehors.
Cette femme, qui vers vous se déplace
Ne sait plus voir et vers la Mort s’avance.
Telle une bête ivre, s’agitant sous le fouet dans son cirque
C’est, aveugle et sourde aux appels, qu’elle s’engage vers la crique.
Enivrée par sa passion, se tordant les mains,
Elle croit apercevoir les ailes des moulins.
La beauté du ciel, les attraits de la vie
Ne peuvent la retenir… Et au bas des rochers,
Son corps est le lendemain retrouvé, brisé.
Le bal
LE BAL
Elle est belle, jeune et sortant de l’enfance
Et ne connaît rien d’autre que l’innocence,
Tout : sa taille, son corps et sa douce peau rose,
Lui donnent l’air d’une fleur à peine éclose.
Elle ne le connaît pas, mais par lui semble attiré.
Du miel dans la voix, une lueur dans les yeux
Il lui apparaît, et elle en remercie Dieu
Et notre âme s’émeut de les voir déjà liés.
Telle une rose fléchissant sous un doux vent
Elle se cambre dans ses bras subissant l’étreinte,
Et lui dans son doux cou sa bouche s’oubliant,
Dévoile de ses lèvres ce qui tuera l’enfant.
Alors l’abandonnant à son premier émoi,
Son beau prince, la goûte, la boit ;
Perdant les couleurs de la vie, la fleur s’étiole
Glisse le long du manteau et tombe sur le sol.
Myrina
MYRINA
La fraîcheur de l’église contrastait avec le dehors,
Le soleil brûlait cette île de Méditerranée.
Debout dans la nef, le regard flottant sur les ors
Des vitraux, des sculptures, de tous ces chandeliers,
Appuyé sur un prie-dieu, j’attendais le cortège,
Et dans les bancs s’échangeaient des regards discrets,
Quelques commentaires et des clins d’œil complices,
Que moi, homme du Nord, ne comprendrai jamais.
Dans les vapeurs des cierges, la voila enfin
A la fois majestueuse, humble et superbe.
Pour elle s’élancent cantiques et refrains.
Alors je m’approche et dépose, bouleversé,
Dans ses mains, sur sa robe blanche : une rose.
Trop tard pour l’épouser, Hadès m’a devancé.