Calliope, poésie épique
Les premiers nés : les Peuples des Arbres
Livre Premier - L'Aube du monde
IX
Les premiers nés
Les Peuples des Arbres
Souvent nommés «Nei Ktônia» car issus de terre.
De petite corpulence, vivaient au cœur
Des forêts, ces peuples sylvains aux yeux si verts.
Leur carnation, leurs cheveux de cette couleur
Également témoignaient de leur filiation
À la déesse, mère des Évergètes…
À l'aube des toutes premières moissons,
Ézaradan au si grand labeur s'apprêtait :
Aiguisant sa faucille, puis partit le son
Et le blé ramasser. Lukédès l'assistait
En faisant mûrir et sécher les lourds épis.
Jours après jours, mois après mois elle travailla,
Sans attendre le cruel hiver, sans répit.
Mais les blés mûrissant en trop grand nombre, la
Déesse ne pouvant seule tout récolter
Pria Aïon de lui donner du temps, mais il
Refusa. Elle s'adressa au puissant hiver,
Qui ne voulut point retarder son arrivée.
La belle de son manteau arracha des fils,
Et tressa, de tissu, de paille et de feuilles,
De verts lutins auxquels elle donna la vie
Pour l'assister en ses moissons jusqu'au noir seuil
De l'Hiver…
Ainsi narre-t-on la naissance
Des Nei Ktônia, les valeureux lutins des bois.
Les premiers nés : les fils d'Hyppia
Livre Premier - L'Aube du monde
IX
Les premiers nés
Les fils d'Hyppia
Aussi rapides que le vent, caracolent sous les cieux,
Les sauvages centaures aux longues crinières ;
Habiles guerriers, quelquefois mercenaires belliqueux,
Lorsqu'ils suivent tel ou tel seigneur sanguinaire.
Ils furent pourtant les artisans d'un prospère
Royaume aux confins d'Acedron, aux sources de l'Itère,
Là où naquit Ethran, le père de leurs pères.
Des siècles après la grande guerre des Dieux, et
La division du monde entre les fils d'Aïon,
Warluik parcourait du monde les épaisses forêts.
Au cœur d'Acounthalis, il surprit, brillante sous les rayons
Du soleil, une gracieuse nymphe au bain.
Sitôt épris d'amour le chasseur divin
D'elle s'approcha pour lui prendre la main.
Effrayée, la jeune fille en biche se changea
Puis s'enfuit à travers bois ; la poursuivant
Warluik prit l'apparence d'un puissant et grand
Cerf. Atteignant la lisière, la biche se mua
En rapide jument, galopant à travers
Les prairies du sud, de même le cerf
Devint étalon. La poursuite une année entière
Dura. Finalement, la nymphe vaincue
S'offrit à son vainqueur dans la pénombre
D'une caverne, et ainsi furent conçus
Ethran, sa sœur Borkur, d'eux descendent nombres
De centaures : mi-hommes, mi-chevaux,
Car issus de Warluik et d'Hyppia : dieu et nymphe
Unis d'amour sous des apparences chevalines.
Les premiers nés : les Nei Tropei
Livre Premier - L'Aube du monde
IX
Les premiers nés
Nei Tropei, les Fils du Vent
À l'aube du premier âge mortel
Ouvert par le souffle divin
D'Aïon…
Le char solaire, en son éclat irréel,
Parcourait les plaines et les monts, en chemin
L'accompagnait Tropè, le chaud et printanier
Vent du sud…
Chevelure désordonnée sous
Sa couronne d'or, l'alizé pour éveiller
Plantes et bêtes répandait son souffle doux…
Remarquant un chêne aux branches blanchies, mortes,
Il fredonna d'étranges paroles, alors
L'arbre s'ébroua, secoua sa ramure forte,
Reprit vie, se couvrit de larges feuilles d'or.
Le riant Tropè alors un hymne chanta :
Le rutilant feuillage du chêne frémit,
Réverbérant l'ode en milliers de tintements,
Une radieuse mélodie se composa.
De notes plus belles le feuillage s'emplit,
Fut pris de nerveux et multiples tremblements.
Inquiet, le dieu se tut, lentement s'approcha
Du végétal. Dans le ramage, bien à l'abri,
De lourds et brillants fruits cuivrés si prestement
Étaient nés, mûrissaient…Et d'un coup tous s'ouvrirent
Libérant de cristallins êtres, tout en sourire,
Au teint d'or, aux longues ailes transparentes,
Voltigeant en une nuée étincelante.
Ainsi du chant d'un dieu résonnant entre les
Branches décharnées d'un vieux chêne, naquirent
Ceux que l'on nomme les «Fils du Vent», les
Neï Tropei…
Les premiers nés : les Kurii
Livre Premier - L'Aube du monde
IX
Les premiers nés
Les Kurii
Sur la grève à peine éclairée par l'aube, l'onde
Couronnée d'écume, venue de l'Océan,
S'étend puis se détourne de la grise plage.
D'est venu, le char solaire ce bleu paysage
Embrase ; alors l'azur s'emplit du vol de grands
Oiseaux blancs, unis en une aérienne ronde.
Sur la grève, une marine nymphe à la pâle
Silhouette ruisselante de sel et d'embruns,
Les yeux clos, s'est endormie, sombrant en son rêve…
…Le ciel de ses pensées se déchire, s'ouvrant
Sur la nuit de pourpre parsemée d'étoiles d'or.
Son âme s'élève à travers les nuées, puis
S'engage en un vert jardin par les dieux bénis ;
L'azur est transpercé par l'éclat d'un météore.
En cet éden s'ouvre un porche à deux lourds battants :
Un roi, couronné de feu et drapé de gloire,
S'approche de la belle : son pas silencieux
Apaise les maux de la terre, et il disperse
Les démons, le lourd sablier du temps renverse.
De froids brasiers enflamment l'éclat de ses yeux.
Elle, séduite, l'aime en un grand lit d'ivoire…
La marine nymphe s'éveille sur la grève,
Sur l'arrondi de son ventre alors pose sa main.
Rejoint Océan, les profondeurs abyssales.
Sur la grève, en un si doux matin de printemps,
La marine nymphe donna le jour à des
Jumeaux : Kura et Kuros, «sur le sable nés».
Ces deux petits grandirent parmi les oiseaux
Et les vagues : pupilles de l'air et de l'eau.
Frère et sœur apprirent alors, au fil des ans,
Élevés par leur divine mère, à parler
Avec les créatures des nuées, de l'onde :
Kuros répondait aux appels des goélands,
Sa sœur à ceux des créatures d'Océan.
Un soir, leurs complaintes se firent vagabondes,
Et l'on vit Kura, son frère, se transformer
Elle en dauphin, lui en grand albatros blanc.
Leur mère s'en effraya et les rappela
Auprès d'elle. Ils revinrent et d'autrefois
Leur première forme reprirent : celle d'enfants.
Ils avaient acquis le pouvoir de se changer
En créatures marines, aériennes.
Le grand Aïon voyant cela s' inquiéta
Du si puissant pouvoir de ces jeunes jumeaux.
Kuros, Kura, convoqués avec leur mère au
Séjour des Bienheureux, furent par le grand roi
Aïon jugés :
«Jeune enfants, quoiqu'il advienne,
Bien qu'issus d'une déesse, vous ne pouvez
Rester dotés de si puissants pouvoirs et vivre
Éternellement comme tous mes descendants !
Je vous enjoins alors à choisir prestement
Entre l'immortalité divine ou survivre
Mortels mais pouvant vous muer à volonté,
Adopter la forme de toute créature ! »
N'écoutant que leurs passions les jumeaux alors
Brisèrent le cœur de leur mère et choisirent
De garder leurs pouvoirs, de suivre leurs désirs.
Leur mère pour les suivre réclama la Mort,
Elle l'obtint et s'effaça des âges futurs.
Les jumeaux regagnèrent les cieux ou les eaux ;
Sous leurs formes aériennes ou marines
Procréèrent parmi les oiseaux, les poissons :
Alors naquirent de ces étranges unions
Des êtres merveilleux au regard d'opaline,
Mortels, magiciens, ayant le sable pour berceau,
Aussi beaux que les dieux, pouvant changer sans cesse
D'apparence au gré de leur fantaisie : on
Les nomma dès lors les étranges Kurii,
Dont les ancêtres abandonnèrent pour l'ivresse
De la liberté,
Leur immortalité…
Les premiers nés
Livre Premier - L'Aube du monde
IX
Les premiers nés
Ainsi nomme-t-on toutes les créatures
Contemporaines des premiers temps du monde,
Mais précédant, des elfes, la progéniture :
Libres sous les cieux, sur terre ou sous les ondes.
Issus des dieux, ou des forces de la nature,
Vinrent à la lumière : les Kurii, les Fils
Du Vent, les Centaures aux longues chevelures,
Et les Peuples des Arbres si pacifistes
Nés de la terre et des sorts d'Ezaradan la
Si grande déesse de la fertilité.
Chéris des dieux, tous prospérèrent bien longtemps
Par les plaines, les forêts et les monts, durant
L'enfance d'Hélendi, jusqu'à l'aube des rois.
Alors ils durent se soumettre aux dures lois
Des descendants de la si légendaire Haryelf…