Les premiers nés : les Kurii
Livre Premier - L'Aube du monde
IX
Les premiers nés
Les Kurii
Sur la grève à peine éclairée par l'aube, l'onde
Couronnée d'écume, venue de l'Océan,
S'étend puis se détourne de la grise plage.
D'est venu, le char solaire ce bleu paysage
Embrase ; alors l'azur s'emplit du vol de grands
Oiseaux blancs, unis en une aérienne ronde.
Sur la grève, une marine nymphe à la pâle
Silhouette ruisselante de sel et d'embruns,
Les yeux clos, s'est endormie, sombrant en son rêve…
…Le ciel de ses pensées se déchire, s'ouvrant
Sur la nuit de pourpre parsemée d'étoiles d'or.
Son âme s'élève à travers les nuées, puis
S'engage en un vert jardin par les dieux bénis ;
L'azur est transpercé par l'éclat d'un météore.
En cet éden s'ouvre un porche à deux lourds battants :
Un roi, couronné de feu et drapé de gloire,
S'approche de la belle : son pas silencieux
Apaise les maux de la terre, et il disperse
Les démons, le lourd sablier du temps renverse.
De froids brasiers enflamment l'éclat de ses yeux.
Elle, séduite, l'aime en un grand lit d'ivoire…
La marine nymphe s'éveille sur la grève,
Sur l'arrondi de son ventre alors pose sa main.
Rejoint Océan, les profondeurs abyssales.
Sur la grève, en un si doux matin de printemps,
La marine nymphe donna le jour à des
Jumeaux : Kura et Kuros, «sur le sable nés».
Ces deux petits grandirent parmi les oiseaux
Et les vagues : pupilles de l'air et de l'eau.
Frère et sœur apprirent alors, au fil des ans,
Élevés par leur divine mère, à parler
Avec les créatures des nuées, de l'onde :
Kuros répondait aux appels des goélands,
Sa sœur à ceux des créatures d'Océan.
Un soir, leurs complaintes se firent vagabondes,
Et l'on vit Kura, son frère, se transformer
Elle en dauphin, lui en grand albatros blanc.
Leur mère s'en effraya et les rappela
Auprès d'elle. Ils revinrent et d'autrefois
Leur première forme reprirent : celle d'enfants.
Ils avaient acquis le pouvoir de se changer
En créatures marines, aériennes.
Le grand Aïon voyant cela s' inquiéta
Du si puissant pouvoir de ces jeunes jumeaux.
Kuros, Kura, convoqués avec leur mère au
Séjour des Bienheureux, furent par le grand roi
Aïon jugés :
«Jeune enfants, quoiqu'il advienne,
Bien qu'issus d'une déesse, vous ne pouvez
Rester dotés de si puissants pouvoirs et vivre
Éternellement comme tous mes descendants !
Je vous enjoins alors à choisir prestement
Entre l'immortalité divine ou survivre
Mortels mais pouvant vous muer à volonté,
Adopter la forme de toute créature ! »
N'écoutant que leurs passions les jumeaux alors
Brisèrent le cœur de leur mère et choisirent
De garder leurs pouvoirs, de suivre leurs désirs.
Leur mère pour les suivre réclama la Mort,
Elle l'obtint et s'effaça des âges futurs.
Les jumeaux regagnèrent les cieux ou les eaux ;
Sous leurs formes aériennes ou marines
Procréèrent parmi les oiseaux, les poissons :
Alors naquirent de ces étranges unions
Des êtres merveilleux au regard d'opaline,
Mortels, magiciens, ayant le sable pour berceau,
Aussi beaux que les dieux, pouvant changer sans cesse
D'apparence au gré de leur fantaisie : on
Les nomma dès lors les étranges Kurii,
Dont les ancêtres abandonnèrent pour l'ivresse
De la liberté,
Leur immortalité…
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